Un défi…

Un défi de fou, un défi de résilience : comme dans la vie, réaliser, aboutir, créer, du beau, du vivant, de l’achevé, dont on peut être fier, malgré les handicaps.

Ce sont les mêmes handicaps, physiques, sociaux ou psychologiques, dont certains doivent parfois s’accommoder, avant d’essayer d’en faire quelque chose de beau, vivant, créatif, porteur et inspirant pour d’autres.

Bien entendu, c’est une analogie, mais c’est cet enjeu, qu’il y a et qu’il y a toujours eu, pour moi, à la base de Pop’harpe : dépasser, par l’art les contraintes qui sinon rendraient impuissant. Car ce n’est qu’en mettant en commun nos aspirations et nos fragilités, celles qui émergent lorsqu’on est sur le fil du rasoir, mais aussi, surtout, en cultivant la patience, le travail et la persévérance, qu’on réalise, à plusieurs, ce qu’on ne pourrait faire seul.

Ainsi, si le projet de l’association Pop’harpe est un projet pédagogique, c’est parce que la confrontation aux difficultés nous pousse à trouver des ressources en nous-mêmes. N’est-ce pas, en effet, toujours ainsi que l’on apprend, que l’on grandit et que l’on devient plus solide, plus sensible, plus subtil, et plus riche ?

Ce disque n’est donc pas l’illustration d’un répertoire pour popharpes en carton. Ou sinon, il faudrait le considérer comme une performance d’illusionnisme. Bien au contraire, c’est une expérience des limites, artistiques et humaines. (Et pour moi, l’aboutissement d’un parcours personnel).

En effet, il n’y a pas de répertoire pour harpe en carton : pas de modèle ; uniquement des ouvertures. Parfois des tâtonnements, toujours des cheminements et des expériences à partager. Remarquez seulement comme il est malaisé de les nommer, nos petites harpes de rien du tout : L’association s’appelle Pop’harpe, mais dira-t-on les « popharpes » (nom commun), les « Popharpe » (nom propre) ou les « harpes en carton » ?

Personne, au sein même de l’association du même nom, n’est vraiment d’accord sur cette question ! Et sans doute est-il bon qu’il en soit ainsi, parce qu’au fond, cet instrument ne devrait pas avoir de nom, ou bien un nom commun puisque la popharpe se veut commune : il ne s’agit que d’une harpe, pas si différente des autres, seulement particulièrement rudimentaire et simple, presque indigente.

Avec 24 ou 27 cordes diatoniques, on la construit en deux jours dans un stage plein de richesses humaines et d’autres ouvertures. Mais si l’on veut jouer, ensuite, un répertoire élaboré et riche, on devra faire les demi-tons à la main, ce qui n’est jamais très commode, ou bricoler éventuellement des frettes avec un bout de scotch, comme on bricole déjà les cordes, les chevilles et la caisse de résonance.

Ce n’est pas pour rien que les facteurs de harpe, depuis le Moyen-Âge, se sont évertués à trouver des solutions techniques pour dépasser cette contrainte ! Mais la contrepartie de leurs innovations a eu un coût, et a rendu la harpe de moins en moins accessible, en plus de l’alourdir considérablement.

Ainsi, redécouvrir les harpes simples, par le biais des popharpes, et essayer de les ouvrir à un répertoire pour lequel elles ne sont, a priori, pas adaptées, c’est réintroduire le défi d’un rapport au rudimentaire ; c’est nous remettre, nous les musiciens, quel que soit notre niveau, au cœur de questions d’interprétation que l’on n’ose pas souvent se poser.

Pour jouer le répertoire de cet album, il faut détourner les problèmes, s’adapter, techniquement à des gestes inhabituels et peu sûrs ; il faut de la persévérance, de la confiance, du désir, et quelquefois aussi accepter de remettre en question ses certitudes, ses habitudes voire son approche musicale.

Cela ne requiert pas seulement de l’astuce : il faut aussi faire ce que la vie exigeante d’un musicien, trépidante et toujours sous le feu des critiques ne permet que rarement : accepter le risque de l’errance. Notre métier, plus que tout autre, interdit de partager ses doutes. La raréfaction des occasions de concerts, le manque de moyens, toujours plus criant, pour la culture, impose plus que jamais, la rapidité à tout prix comme une vertu artistique.

Un temps de maturation des arrangements et des choix de répertoire est tout autant nécessaire : aucune pièce ne se donne simplement. On doit l’approcher, la tester, l’aborder en douceur, longtemps, tenter, y croire, tester, écrire, gommer, changer, sans renoncer à la difficulté. Longuement. Parce que la popharpe comme sa musique sont à inventer, toujours.

Véronique Musson-Gonneaud, mars 2022

https://popharpe.com/wp-content/uploads/2022/05/Tracklist-verso-CD.pdf

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